C'est l'heure du conte

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Le tyran insatisfait

On raconte dans quelques contrées lointaines, la vieille histoire de
ce roi incommensurablement riche. Il avait rassemblé dans son immense
château toutes les beautés, valeurs et merveilles possibles, mettant à nu toutes les cimaises du royaume.

Son peuple, déjà fort démuni, était assujetti de surcroît à
d’invraisemblables impôts inventés par ce roi accumulateur. Paradoxe
de ce pays, parmi les plus beaux du monde, d’avoir pour habitants des
gens pauvres et malheureux.

Le roi avait pour seule famille une fille, qu’il maintenait cloîtrée
dans le grand donjon du château où elle se morfondait. Les journées
s’étiraient sans fin pour la triste princesse esseulée. Elle vivait
dans l’espoir et l’attente d’épouser le jeune prince du pays voisin.

Lorsqu’il fut en âge de se marier, le prince, courageusement, prit
audience avec le tyran pour lui demander la main de la princesse.

Le roi n’avait nulle intention de la lui consentir. Mais, il voulait
profiter des bonnes dispositions du prince pour obtenir les quelques
joyaux qui manquaient à sa collection :

« Tu me demandes la main de ma fille, mais je ne te connais pas. Il
faut d’abord me prouver ta valeur. Pour cela, rapporte-moi la statue
de pierre monumentale de la déesse des Turituras en parfait état. Si
tu y parviens, tu épouseras ma fille. »

La sage et sereine société des Turituras, peuple de cultivateurs,
s’épanouissait dans la simplicité. Quelques prières adressées à la
statue de la déesse des moissons au moment des récoltes, pour
remercier Mère Nature de ses bienfaits, constituaient leur seule
obédience.

Le prince, après un périple à cheval harassant et labyrinthique,
arriva enfin à destination. Il expliqua aux Turituras le roi
despotique, la princesse isolée, la statue de la déesse à rapporter.
Les Turituras, unanimement émus par ce récit lui confièrent la statue
vénérée en échange de son amitié. Il promit de la leur redonner dès
que le roi s’en sera lassé. On installa la statue dans une carriole
attelée au cheval ; le voyage n’en fut que plus pénible avec cet
imposant fardeau. Lors de la traversée d’une forêt, une feuille
d’érable effleura la statue, laissant une très légère marque.

De retour au château, le prince présenta la statue. Le roi aperçut
immédiatement l’insignifiante trace de la feuille d’érable :

« Certes, dit-il au prince, tu as rapporté la statue, mais elle
est abîmée. Cela ne me convainc pas. Aussi, je te donne une nouvelle
chance de me prouver ta valeur : je veux le cheval bleu du plateau
des steppes sauvages. Si tu réussis, alors je te donnerai ma fille
pour femme. »

Proches du château, les steppes sauvages s’étendaient sur des milliers
de lieues. Le prince errait encore des semaines à cheval avant de
trouver le cheval bleu et son compagnon, un ermite philosophe du nom
de Rascual. Par sa magnificence, le cheval bleu procurait un bonheur
quotidien à Rascual. Le prince lui expliqua sa démarche. Touché par
cette histoire, Rascual, sans hésitation aucune, lui prêta le cheval
bleu.pavé et le fit claudiquer momentanément sous les yeux du roi :

« Eh bien, tu as amené le cheval bleu, mais il boite. Je ne peux donc
pas te faire confiance. Voici donc une nouvelle mission : va chercher
le feu sacré, si tu en es capable, et nous reparlerons de ta demande. »

Le feu sacré, entretenu par une sorcière, avait dit-on mille pouvoirs
pour qui le possède.

Le prince reprit chemin et dut traverser une forêt parmi les plus
épaisses. Puis, il arriva dans une clairière où se trouvait le logis
de la sorcière à laquelle il se présenta.

À sa grande surprise, cette dame n’était pas une sorcière comme on le
prétendait, mais une fée bienfaitrice et guérisseuse pour les gens de
sa clairière. Après une longue narration, la fée lui donna bien
volontiers le feu sacré. Usant de sa magie, elle facilita le retour du
prince au château.

« Non, décidément, je ne peux pas compter sur toi, déclara le roi au
prince, ce feu sacré est bien anodin. Reviens demain, je déciderai
peut-être de te donner une autre mission. »

Le soir venu, le roi fit apporter près de son trône les trois
merveilles pour se délecter de leurs prodigieuses beautés.

Mais, de ses yeux blasés, il ne vit qu’un gros caillou, une bête et
une flammèche. Perplexe, il se mit à réfléchir au nouvel objet de son
désir qu’il demandera au prince le lendemain.

Soudain, du feu sacré jaillit une vive lueur gigantesque et brûlante.
Le cheval bleu, effrayé, rua et fit choir involontairement la statue
sur la tête du roi qui mourut sur le coup.

Aussitôt, on libéra la princesse, on prévint le prince. On jeta dans
la proche forêt l’encombrante dépouille, sans qu’il soit question de
funérailles, providentiel festin des loups et des hyènes.

À grande hâte furent restitués de nombreux biens. Puis, on célébra
le mariage des deux amoureux.

Nouvellement promus, la reine et le roi entreprirent une série de
réformes qui marquèrent le retour de la paix et de la sérénité dans
le royaume.

Rascual fut nommé premier conseiller des époux royaux ; la fée de la
clairière devint la marraine de tous les enfants. Avec les Turituras,
déclarés grands amis fraternels du royaume, on organisa moult échanges
culturels et amicaux – probablement le premier jumelage de l’histoire
de l’humanité –.

L’accumulation de richesses et de pouvoir fut décrétée maladie mentale.

Enfin, la reine et le roi décidèrent qu’ils seraient les derniers
monarques de ce pays : le peuple choisira dorénavant leur successeur
par élection parmi les plus grands sages du pays.

Avec une consigne absolue : retenir l’histoire de ce roi avide et fou
afin de ne jamais remettre les clés du pays à un tel individu.

En arrivant au château, un des sabots du cheval bleu glissa sur un

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